Risques psychosociaux
Grosse déprime à l'Institut d'accompagnement. Le virage commercial pris par sa direction est jugé par plusieurs psychologues salariés de l'association comme peu compatible avec leur éthique professionnelle.
Que se passe-t-il à l'Institut d'accompagnement? L'Institut d'accompagnement, association créée en 1999 par la RATP pour venir en aide à ses agents victimes d'agressions, a en effet perdu 50% de ses effectifs en l'espace d'une année. Pour certains syndicats, cette hémorragie n'a rien de naturel. "La direction exerce des pressions pour pousser des salariés vers la sortie", accuse Pascal D, du syndicat Sud santé-sociaux.
Convocations
En avril 2009, trois psychologues ont été convoqués à un entretien préalable à licenciement. Il leur était reproché de ne pas avoir correctement rempli les dossiers de leurs "patients" dans la base informatique. "Deux d'entre eux ont été sanctionnés en dépit des éléments rapportés prouvant qu'ils s'étaient acquittés de ces tâches administratives", dénonce le syndicaliste. Ces menaces n'épargnent pas les représentants du personnel. La direction a demandé le licenciement d'un délégué syndical, refusé à deux reprises par l'Inspection du travail au motif d'"absence d'éléments probants à l'appui des reproches formulés".
De son côté, Jacques R., directeur de l'Institut, reconnaît l'existence d'un malaise au sein du personnel. Mais il apporte une autre explication: "Nous quittons une époque où l'Institut fonctionnait essentiellement grâce à des subventions, pour évoluer vers un fonctionnement plus commercial. Certaines personnes vivent mal ces changements."
A l'origine, l'Institut est le produit d'un partenariat entre la RATP, qui souhaitait se doter d'une structure extérieure pour accompagner psychologiquement ses agents victimes d'agressions, et la société mutuelle d'assurance GMF, qui proposait le même service à ses sociétaires victimes d'un sinistre important. Au moyen d'un numéro Vert, disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, l'agent de la RATP ou le client de la GMF pouvait entrer en contact avec un psychologue, qui faisait un premier bilan et décidait ensuite d'une éventuelle prise en charge clinique. Au départ, une quinzaine de psychologues ont été recrutés et répartis entre l'activité RATP et GMF. "Notre travail ne s'est pas limité à une prise en charge du stress post-traumatique, explique un salarié. Progressivement, nous avons aussi accompagné des agents confrontés à des difficultés professionnelles ou à des problèmes personnels qui avaient une répercussion sur leur travail. Sur chaque ligne de bus ou de métro, le nom d'un psychologue référent était signalé au personnel."
Dès le départ, il est arrivé que l'Institut intervienne pour le compte d'autres entreprises. En 2000, après le crash du Concorde, les psychologues sont sollicités par Air France pour apporter un soutien aux familles des victimes. Suite à l'accident industriel d'AZF, l'I travaille pour le personnel de Total et des bailleurs du logement social. Les embauches de psychologues se multiplient et génèrent une situation de sureffectif, source de tensions supplémentaires. Les relations entre les psychologues et les responsables qui se sont succédé à la tête de l'association ont souvent été conflictuelles, notamment sur la conception du service qui doit être rendu. Mais la situation s'est particulièrement dégradée avec le directeur actuel.
Autres sources de financement
Jacques R, 48 ans, a le profil d'un "pur financier". "Je considérais l'absentéisme comme quelque chose d'intolérable dans la vie d'une entreprise, avoue-t-il. Mais j'ai revu mes jugements après avoir été amené à assurer la direction d'un service de santé au travail." Le conseil d'administration de l'association lui a confié une mission: trouver d'autres sources de financement afin de couvrir les dépenses et diminuer les subventions de la RATP et de la GMF. Trois ans après son arrivée, il semble satisfait de son bilan économique. "Aujourd'hui, 50% de nos recettes proviennent d'entreprises extérieures, alors qu'elles ne représentaient qu'à peine 10% trois ans auparavant", se félicite-t-il. Les clients se comptent par dizaines: Orange, EDF, Adecco, Castorama, le ministère du Travail… "Nous avons bénéficié de l'expansion du marché des risques psychosociaux et d'une explosion de la demande", précise Jacques R.
Des résultats obtenus au prix d'une mutation forcée des méthodes de travail. Les psychologues ont été répartis dans trois nouvelles équipes. La première est chargée d'élaborer des programmes de formation et de prévention. Une deuxième est dédiée à la prise en charge des salariés, quelle que soit l'entreprise, tandis que la troisième est spécialisée dans l'assistance aux personnels encadrants confrontés à des difficultés dans leur service. En parallèle, la direction a développé des outils de reporting informatisés pour les psychologues, qui doivent y consigner toute une série d'informations. "La logique gestionnaire et commerciale a complètement pris le dessus sur un projet de psychologie clinique", analyse Gérard R, ancien salarié de l'I.
Remplir des questionnaires
Pour bien des psychologues de l'institut, cette évolution de l'activité, conduite sans concertation, s'est soldée par une dégradation de leur pratique professionnelle et les met en porte-à-faux avec leur code déontologique. "Les prestations proposées par l'I sont de plus en plus standardisées, affirme un psychologue. Le nombre d'entretiens par personne étant limité, nous ne pouvons plus mettre en place un accompagnement personnalisé." "Nous ne sommes pas du tout impliqués dans l'élaboration des cadres d'intervention, déplore un autre psychologue. Les prestations sont d'abord conçues pour satisfaire le besoin d'une entreprise qui cherche à se prémunir des risques pesant sur elle." Une situation délétère, selon cet autre psychologue: "Certains d'entre nous sont dans des situations d'épuisement professionnel, parce qu'ils ne peuvent plus penser leur métier. Les réunions d'équipe ne portent plus sur la clinique mais sur les questions informatiques induites par le remplissage de questionnaires."
Les salariés de l'association ont alerté leur direction sur ces dérives, par la voix des délégués du personnel ou en s'adressant au conseil d'administration et au conseil scientifique et éthique de l'association. Mais la direction ne semble pas encline à entrer dans un dialogue. "Elle se tient à son objectif de développement du chiffre d'affaires et écarte ceux qui posent problème dans l'accomplissement de cette mission", souligne Eric C, de l'union départementale parisienne FO.
Après les nombreux départs de psychologues et dans un contexte de marché très porteur, l'I cherche à recruter. Non sans difficultés. "La profession compte beaucoup de jeunes femmes, mais notre activité exige une réactivité importante, déclare le directeur. Lorsqu'il faut partir au pied levé pour intervenir dans une entreprise, elles ne sont pas assez disponibles. Nous avons exploré d'autres pistes, notamment celle de psychologues passés par les ONG, mais ils ont acquis une grande indépendance de jugement." Une qualité apparemment peu appréciée à l'I…
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